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Entretien avec Romano Zanotti
Un des fondateurs des Machucambos

Romano Zanotti nous raconte l'histoire des Machucambos et de l'Escale…

Avant d'arriver à Paris, vous étiez à Rome. C'est là que vous avez rencontré Julia Cortes. J'ai l'impression que cette rencontre a été le point de départ qui vous a réunis ensuite au sein des Machucambos…
Oui, j'ai rencontré Julia à Rome. Elle était la petite fille de Léon Cortes, un ex-président de Costa Rica. A 19 ans elle a été nommée attachée culturelle à l'ambassade de Costa Rica à Rome. Moi je fréquentais l'Ecole des Beaux Arts. Il y avait un jeune Costaricien qui s'appelait Cesar Valverde qui est devenu un des plus importants peintres de Costa Rica.

Romano Zanotti avec le groupe Los Machucambos
Romano Zanotti (au centre) avec le groupe Los Machucambos

Lire l'histoire complète des Machucambos

Lire l'histoire complète de l'Escale

Il travaillait avec moi, on était dans la même classe, et c'est lui qui m'a présenté Julia. C'était en 1954. Moi et Julia, nous avions exactement le même âge à un mois près, elle avait un mois de plus que moi. On est devenu amis, on fréquentait beaucoup les milieux latino-américains à Rome. Et c'est là que j'ai commencé à me passionner pour la musique latino-américaine. J'enseignais l'Italien et les chansons italiennes aux Sud-américains, et ils m'enseignaient les chansons et les rythmes sud-américains. Ca a été assez vite tout ça.

Je suis venu une première fois à Paris en juillet 1954 pour passer des vacances. J'ai beaucoup aimé.

Dès mon retour à Rome j'ai eu une bourse d'études et je suis revenu à Paris pour étudier avec un ancien peintre italien, Severini, un futuriste. J'ai aussi amené ma guitare et j'ai joué dans les petits bistrots. Je suis arrivé en novembre 1955 et je me suis installé début 1956.


C'est en 1956 que vous avez fréquenté l'Escale pour la première fois ?
C'était même en 1954. Ici il y avait des musiciens qui jouaient la flûte indienne. Avant cela l'Escale était un lieu de jazz manouche. C'était tout à fait une autre ambiance. Les Latino-américains sont arrivés petit à petit.

En juillet 54, comme je vous ai dit j'étais en vacances à Paris, et c'est là que j'ai connu Louise, la directrice de l'Escale.


Elle s'appelait Louise ?
Oui, Louise Baudino. Je suis arrivé à l'Escale. Les musiciens étaient en vacances. J'ai demandé à Louise si elle voulait que je joue. J'ai joué une fois et elle m'a engagé. Je suis resté pratiquement tout le mois de juillet à l'Escale. J'avais beaucoup de chansons sud-américaines à mon répertoire…

Et puis j'ai connu les Guaranis. On peut dire que j'ai débuté en professionnel avec les Guaranis.


Quel a été votre parcours à Paris à partir de 1956 ?
J'ai d'abord formé un quartet italien qui s'appelait Romano e il suo quartetto. On jouait à La Fontaine des Quatre Saisons, rue de Grenelle, une boîte qui était tenue par Pierre Prévert, le cinéaste, le frère de Jacques Prévert, le poète. C'était une boîte fantastique, avec des artistes prestigieux comme les Frères Jacques, Pierre Perret qui a débuté là-bas et tant d'autres.

Je doublais avec le Vieux Colombier, rue du Vieux colombier. Là, j'ai fait la connaissance de Jean Ferrat qui débutait.

Julia m'a rejoint après : elle a été nommée attachée culturelle à Paris.


Je croyais que Julia venait à Paris juste en vacances
Elle est venue d'abord en vacances puis elle s'est installée à Paris à la fin de 1956.

Rafaêl et Julia, avec un Péruvien qui s'appelait Milton Zapata, ils ont formé un groupe de musique mexicaine qui s'est appelé ensuite les Machucambos. Moi j'étais à l'époque chez les Guaranis. Zapata voulait quitter les Machucambos. On a fait un échange avec Francisco Marin : Zapata a pris ma place chez les Guaranis, et j'ai pris sa place dans le groupe des Machucambos.


Est-ce que Julia chantait avant de former les Machucambos ?
Elle chantait un peu, quand on allait dans des fêtes à Rome, mais elle était d'une grande timidité. Elle s'est mise à chanter, pour de bon, quand elle a connu Rafaêl et quand ils ont créé le groupe.

Rafaêl m'a dit qu'elle a chanté une première fois à l'Escale, c'est là qu'on a découvert sa voix…
Oui, elle a chanté à l'Escale et elle a "cassé la baraque" ! Les gens sont restés stupéfaits, parce qu'elle avait une voix extraordinaire.

Après l'Escale le groupe s'est produit à l'Ecluse. Monsieur Evans (de la maison Decca) les a écoutés. Il leur a fait enregistrer la Bamba qui a été le premier succès du groupe…

Paris et le folklore sud-américain

Il y avait effectivement dans les années 50 un engouement pour le folklore sud-américain. Vous avez une explication à ce phénomène ?
C'était un brassage de toutes les nationalités latino-américaines. Il y a toujours eu un engouement pour cette musique en France, mais c'était assez superficiel, on s'intéressait à la musique typique, la rumba, la conga, etc. Dans les années 50 ce sont les jeunes sud-américains qui sont arrivés en France. Comme ils avaient des nationalités différentes, chacun a apporté son folklore, c'était une espèce de salsa, avant la lettre, un mélange de plusieurs folklores.

Il y a eu par exemple Los Incas, un groupe constitué de Narciso Debourg, Elio, Miky Ben-Pott, Riccardo Galeazzi,. Ils sont Argentins et Vénézueliens. Ben-Pott d'origine écossaise mais né à Buenos Aires. Riccardo d'origine italienne. Dans ce groupe, les deux folklores argentin et vénézuélien ont fait fusion. Les Argentins se sont mis à la musique vénézuélienne et vice-versa. Riccardo Galeazzi jouait très bien la flûte indienne. Il a apporté une musique andine qu'on ne connaissait pas du tout en France.

Le public français a découvert aussi en 1953 les 4 Guaranis qui ont fait connaître la harpe indienne. Ils ont joué au théâtre Apollo avec la compagnie Chants et Danses d'Amérique Latine tenue par le chorégraphe argentin Joaquim Perez Fernandez. Un triomphe. Ca a été la révélation de la musique sud-américaine au niveau folklorique. Les Guaranis ont fait une longue carrière et des disques d'une grande qualité.


Y avait-il aussi beaucoup de Cubains à Paris à cette époque ?
Il y avait une femme avec son mari qui jouaient au Vieux Colombier…

Avant cela, dans les années 30 il y a eu pourtant une vague importante de cubanisme, et beaucoup de musiciens cubains jouaient dans les bars de Montparnasse et de Montmartre…
Oui, c'était en parallèle avec le Bal Nègre…

… Puis les Cubains se sont dispersés visiblement avec la deuxième guerre
Beaucoup sont allés en Espagne.

Et après la guerre, ils n'étaient plus là, j'ai l'impression qu'il y a eu une vague différente.
Ce sont les jeunes qui sont arrivés, c'est une nouvelle génération. La musique cubaine a été reléguée à une consonance typique, un peu péjorative, par rapport au folklore qui arrivait avec des grands poètes comme Atahualpa Yupanqui par exemple.

Vous avez connu Alejo Carpentier à l'Escale ?
Oui, il ne parlait pas beaucoup, mais il était très attentif à la musique. Il a été client de l'Escale pendant un an et demi, ainsi que Nicolas Guillèn, le poète cubain…

J'ai habité dans le même hôtel que lui, rue Cujas. En face il y avait un autre petit hôtel où habitait Violeta Parra. Ca a été un moment de concentration incroyable de musiciens latinos.


Violeta Parra

Violeta Parra est arrivée dans l'année 57. Elle revenait d'un festival en Russie. Elle était communiste. Elle est arrivée à l'Escale un soir habillée en paysanne chilienne.

Elle avait un caractère difficile. Personne ne voulait jouer avec elle. Moi par contre je me suis bien entendu avec elle. En même temps j'apprenais le folklore chilien. Avec moi elle était différente, elle était très gentille. On a joué deux ans ensemble, j'ai une magnifique photo avec elle, elle a été éditée dans mon dernier disque.

C'est extraordinaire. Pouvez-vous nous dire plus sur son caractère difficile ?
Elle était manichéenne, il n'y avait que le folklore chilien qui l'intéressait, et uniquement ses chansons. Quand elle chantait 4 ou 5 cueca chiliennes de suite, ca devenait un peu monotone. Moi j'apportais une autre musicalité et une deuxième voix, cela changeait un peu le style. On avait une grande amitié.

Elle voulait chanter d'une façon profonde, elle voulait que tout le monde écoute et ça pouvait durer des heures ?
Oui ! Le public fatiguait assez vite. Elle chantait pourtant des chefs-d'œuvre. Casamento negros, composé ici. Gracias a la vida, etc…

Gracias a la vida, elle l'a chantée à l'Escale ?
Je ne l'ai pas entendue chanter Gracias a la vida car j'avais quitté l'Escale, j'étais en tournée avec les Guaranis. Mais il y a une anecdote qu'on peut raconter. D'ailleurs dans mon disque j'ai dédié les cantiques de créatures de Saint François d'Assise (1) à Violeta Parra. On a discuté de ce poème avec elle. Le poème de Saint François évoquait tout ce que Dieu nous a donné : la vie, les oiseaux, etc. Ainsi, tandis que Saint François remerciait Dieu, elle, elle a remercié la Vie. C'est similaire. C'est vrai qu'il y a quelque chose de religieux dans Gracias a la vida

Oui, Il y a quelque chose de religieux. Je l'ai entendue la chanter quelques années après, juste avant de partir pour le Chili où elle s'est suicidée.

Paris, centre culturel du monde

Est-ce que vous avez des souvenirs avec Jesus Soto ?
Avec Soto ce qu'on a comme souvenirs ensemble c'est la peinture. J'ai vu Soto commencer à faire de l'abstraction géométrique. Nous sommes tous les deux dans ce même courant. On discutait beaucoup de ce qui se faisait à l'époque. Il ne faut pas oublier que Paris, à ce moment là, était non seulement la capitale de la musique sud américaine mais aussi le centre du monde, et tout ce qui concernait les arts plastiques ça se passait ici, dans ce périmètre du Quartier latin. On parlait dans le monde entier de Saint-Germain-de-Près. Moi par exemple j'allais prendre parfois le petit déjeuner au Flore et je me retrouvais souvent assis à côté de Sartre et de Simone de Beauvoir. On sortait de la guerre, on avait beaucoup souffert, et il y avait une joie de vivre qui ne s'est plus reproduite.

Avec Soto nous avons joué à l'Escale. Ce qui était bien à l'Escale c'était de faire le bœuf. C'est un terme du Jazz où plusieurs musiciens se réunissent et improvisent ensemble sur un thème. Il y avait aussi Narciso Debourg qui était un très bon musicien. Lui aussi peintre, il était dans la même mouvance géométrique.


Ce qui est étonnant c'est cette association de la peinture et de la musique. Vous étiez presque tous musiciens et peintres.
Oui, parce qu'évidemment quand on est arrivé ici, on avait des bourses de misère, mais si on savait jouer un instrument on pouvait tripler nos ressources, on pouvait ainsi s'offrir une tenue décente, s'acheter des choses, inviter à dîner les filles…

Vous connaissez Angel Hurtado ?
J'ai souvent entendu parler de lui mais je ne l'ai pas connu personnellement. Il n'est pas resté beaucoup à l'Escale, je crois.

Paco Ibañez

Et Paco Ibañez ?
Oui je le connais très bien. Il avait à peu près mon âge. Il jouait la guitare classique, il chantait peu. Je me souviens qu'il était très ami de Brassens. Ce qui l'a poussé à chanter ce sont les espagnols (Lorca, Alberti etc) et les traductions en Espagnol des chansons de Brassens…

Il y avait un prof d'Espagnol de Montpellier qui venait très souvent à Paris et c'est lui qui a traduit la majeure partie des chansons de Brassens.

Les chemins de la mémoire

(On regarde une photo dans l'album de Romano)

Voilà Soto, Julia Cortes, Paco Ibañez, moi et Rafaêl.

C'était où ?
A l'Escale, en 2005.

Julia Cortes est venue à Paris ?
Oui elle est venue pour deux semaines.

C'était au moment où Ibañez et Soto se sont retrouvés et fait le disque Fuè Ayer en hommage à leur amitié ?
Absolument. C'est une photo historique.

C'était donc en 2005, Soto est mort la même année…
Il est mort une semaine après.

C'est incroyable. J'ai l'impression qu'il a fait ce travail de mémoire pour…
Il était sûr de mourir. Il a même chanté en bas à l'Escale, avec Paco. Ils sont venus chanter un soir pour se rappeler de l'Escale et tout ça.

Il voulait retrouver ses amis avant de mourir…
Il était très malade.

Paco et Soto ont fait ce disque et fêté leurs retrouvailles à l'Escale. Vous, les Machucambos, de votre côté vous avez retrouvé Julia Cortes à Costa-Rica, et vous avez fait avec elle le disque Como Antes. Je trouve que c'est le même mouvement de mémoire, chacun de son côté voulait retrouver ses racines. Est-ce que vous vous êtes concertés pour mener ces deux actions ?
Non, j'avais de mon côté l'espoir que Julia puisse un jour refaire un disque parce que sa voix était restée impeccable. Seulement quand on s'est retrouvés la dernière fois, elle était malade. Elle pouvait à peine chanter. J'ai été très ému de la voir comme ça, avec son public de Costa Rica.

Mais, Rafaêl m'a dit qu'elle avait fait une visite à l'hôpital et on lui a dit qu'elle n'avait plus rien. C'est un miracle !

Elle a souffert pendant 30 ans de sa maladie…
C'était une encéphalite.

A quel moment vous avez eu l'idée d'aller à Costa Rica pour chanter avec elle ?
Ce sont les Costariciens qui ont voulu revoir le groupe. C'était un impresario et un producteur de théâtre qui ont eu l'idée et ils nous ont contacté pour savoir si nous étions d'accord.

Et vous avez enregistré le disque " Como Antes ". Qu'allez-vous faire de cet enregistrement ?
Il y a quelques chansons qui sont bien, on les mettra dans une compilation. Julia a repris des titres anciens d'Atahualpa Yupanqui et elle a très bien chanté.

C'était donc des Costariciens qui vous ont fait cette demande…
Oui, oui, ils nous ont contacté. On a fait des émissions de télé d'une heure pour raconter notre histoire. C'était un très beau voyage.

Et les retrouvailles de Paco et Soto, c'était leur idée à eux ?
C'était une idée à Soto, il a voulu faire exactement comme on chantait à l'Escale à l'époque. Il voulait chanter sans aucun artifice, avec la voix telle quelle, il voulait des accords de guitare très primaires. Pour finir, il n'a pas obtenu ce qu'il voulait. C'était difficile avec 60 ans de plus.

Je trouve étonnant que plusieurs événements se produisent dans le même sens sans qu'il y ait concertation entre vous. Retrouver Paco Ibañez, c'était une idée à Soto. Vous, ce sont les Costariciens qui vous ont fait retrouver Julia Cortes. Et puis maintenant, c'est Hayley la belle fille de Soto qui vous rejoint dans le groupe Machucambos. Tout ca, ce sont des coïncidences ?
Complètement. C'est incroyable, parce qu'il y a trois ans je ne connaissais pas Cristobal Soto (le fils de Jesus Soto). Je l'avais vu quand il était tout petit, quand il avait 5 ou 6 ans. Je l'avais aperçu peut être avec les Magic Circus (2), mais je ne me rappelais plus de lui. Et puis j'ai écouté ses disques et on est devenu amis. On a fait des concerts ensemble.

Un jour j'avais besoin de faire un disque sur l'Amérique du sud. J'en ai parlé à Enrique Capuano, un des musiciens des Calchakis. Alors il me dit : et si on prenait Cristobal Soto. C'était pour le disque Dagli Appennini alle Ande. J'avais présenté l'idée de ce disque à l'institut culturel italien, parce qu'il traite du rapport entre la musique italienne et la musique sud-américaine à travers l'émigration vers des pays comme l'Argentine. Le titre du disque est symbolique et lie les deux chaînes de montagne les Appenins et les Andes. En même temps c'est le titre d'une nouvelle d'un écrivain italien du XIXeme siècle. Elle raconte l'histoire d'un jeune Génois qui allait à la recherche de sa mère qui était bonne dans une famille bourgeoise argentine. (3)

Et c'est par ce biais que vous avez croisé à nouveau Cristobal Soto…
On est devenus des copains.

Hayley, je ne savais pas qu'elle chantait. Un soir on était en petit comité comme ça. Elle s'est mise à chanter une chanson vénézuélienne. J'ai dit à Rafaêl : c'est la chanteuse qu'il nous faut, c'est évident.

Et vous savez qu'elle a monté avec son mari un duo qui s'appelle Yare en hommage au groupe Los Yares qu'avait créé Jesus Soto avec Paco Ibañez et Carmela dans les années 50.
Oui, Yare, sans le " s ".

C'est comme si elle s'est mise sur le chemin de la mémoire. Déjà sa rencontre avec son mari. Puis, la première fois qu'elle a chanté en France c'est en souvenir de Yares, c'est comme si elle s'est mise sur un chemin qui la conduit à vous.
Oui c'est un miracle ça aussi.

Elle est très solide. Elle ne connaissait pas du tout le style des Machucambos. Au départ, elle était complètement paralysée. Mais l'autre soir au concert de la mairie du 6ème (27 janvier 2006), elle a fait un triomphe. Elle a envie de travailler, c'est très bien.

Qu'est ce que vous voulez faire avec elle aujourd'hui ?
Nous aimerions bien faire un disque avec elle.

Ca sera du folklore vénézuélien ?
Ah oui. Vous connaissez Simon Diaz ? C'est un des plus grands compositeurs vénézuéliens. Il a fait une chanson qui a eu beaucoup de succès qui s'appelle Caballo viejo reprise par les Gypsy Kings. J'aimerais faire avec elle des chansons de Simon.

Ca sera donc un renouveau des Machucambos.
Oui, on va voir comment marchera la tournée prochaine. Si le public réagit, il ne faudrait pas perdre de temps...

Histoire de Pepito

Je reviens un peu au passé. Quelle est l'histoire de Pepito ? Cette chanson existait avant vous ?
Voilà l'histoire de cette chanson : Rafaêl va un jour à Barcelone. Il a connu un éditeur de musique catalan : Agusto Algueró. (Il a dit à Rafaêl : j'ai un truc pour vous, ça serait bien que vous fassiez ce disque). Et Rafaêl revient à Paris avec la musique de Pepito. C'était un disque en Anglais par un trio de filles noires. Elles étaient américaines.

C'était le même rythme ?
Non ! C'était un slow rock, comme " Cuando calienta el sol ". Quand on a écouté cette chanson on s'est dit que Algueró était fou. ! J'étais même un peu fâché, j'ai dit : il n'a rien compris ! Alors on a en a fait un chacha, c'était la seule solution.

Les paroles existaient déjà ?
Oui. Le slow rock était en Anglais, mais un parolier d'Algueró avait fait les paroles en Espagnol. Nous avons trouvé ces paroles complètement stupides, mais, comme à l'époque on avait des doubles 45 tours, avec 4 chansons dessus, pour faire plaisir à Algueró nous avons enregistré la chanson, quand même en la plaçant en quatrième titre.

Donc vous ne vouliez pas de Pepito ?!
On n'en voulait pas du tout ! On avait encore une place sur le disque, c'était en fin de face, on a mis Pepito en dernier et on a dit : on verra bien ce qui se passera.

Vous l'avez enregistrée telle qu'elle a eu le succès ?
Exactement. C'est moi qui ai créé l'introduction.

Et vous ne vous doutiez pas que ça allait être un grand succès ?
Pas du tout. On est au sport d'hiver, faire du ski à Val d'Isère. Il y avait une boîte où on jouait : le Tequila.

Là il y avait un photographe qui est venu nous voir et il a dit : ca ne vous gène pas que je vende quelques disques de vous ? Et il est arrivé avec un paquet de disques comme ça, des 45 tours, avec une autre pochette. J'ai dit : mais qu'est ce que c'est que cette pochette ? Ils avaient changé la pochette chez Decca, ils avaient mis Pepito en premier, avec la photo de Julia, de moi et Rafaêl.

Nous, on a demandé : mais pourquoi ils ont changé la pochette ? Et il dit : mais vous ne le savez pas ? Vous êtes numéro un !

Ainsi on a su qu'on était numéro un à Val d'Isère. Quand on est arrivé… à Paris, ça a été fantastique. On a fait l'Olympia tout de suite.

Je crois que j'ai eu ma belle histoire.
C'est toujours le hasard qui fait les choses.

Pepito a changé toute notre carrière. On était parti sur un plan de folklore et de chansons engagées, des chansons avec des textes de Yupanqui… et Pepito nous a quand même placé dans une catégorie de variétés.

Ce n'était donc pas voulu ce changement…
Non, nous on voulait pas ça. On était sur des chansons populaires avec un sens. Pepito nous a complètement cloué. On a d'ailleurs eu beaucoup de mal à nous en sortir.

Pepito c'est pour vous une chanson sans profondeur ?
C'est une chanson à contre courant de notre carrière. On faisait les Jeunesses Musicales de France avec un conférencier qui racontait l'origine de chaque chanson. Mais (depuis la sortie de Pepito), à la fin du spectacle, le public tapait des pieds, et on était obligé de chanter Pepito. C'était insupportable.
(Fou rire)

Je trouve étonnant que vous me disiez ça ! Et plus tard alors, est-ce que vous avez donné un sens à cette chanson ?
Le sens, oui, ça a été ce qui nous a fait vivre, on a vécu avec Pepito, pratiquement. Mais c'était le hasard. Je ne sais pas si je pourrais refaire un truc comme ça. Après Pepito, les éditeurs du monde nous sont tombés dessus pour nous proposer des chansons l'une plus bête que l'autre. Tout le monde pensait qu'on allait continuer dans le même genre. Mais peu à peu on a commencé à revenir à notre ancien répertoire. Ce qui m'a aidé beaucoup c'est de me remettre depuis 10 ans à la chanson italienne. Ca m'a remis dans un travail de recherche, avec de la poésie, des beaux arrangements et des magnifiques textes.

Mais je ne renie pas l'époque de Pepito. D'ailleurs aujourd'hui quand vous allez dans la rue, si vous parlez des Machucambos, les gens disent : ah oui, oui (vaguement).. mais si vous dites Pepito mi corazón, tout le monde connaît, même les jeunes. C'est dingue à quel point cette chanson a pu nous marquer.

Pepito, ça représente un personnage, un charmant jeune homme dont les femmes sont amoureuses ?
D'ailleurs c'est pour cela que c'est Julia qui la chante, parce que si c'était nous ca serait bizarre. C'est une petite chanson d'amour très, très banale.

Y a-t-il des chansons dans le folklore sud-américain qui parlent de Pepito ?
eut être.

Et ce Slow rock américain, il était connu ?
Non. Ceux qui ont fait ce titre sont Truscot et Taylor. Leur titre n'était pas connu. Nous, on l'a rendu mondialement connu. On a été premier à un moment puis deuxième au Bill board mondial. Tout le monde a essayé de faire Pepito après nous, Gloria Lasso, et d'autres, sans aucun succès. Et ça a été fait avec deux guitares et un bongo, une basse et un bongo, tout ça autour d'un micro.

Quels sont vos autres plus grands succès ?
Il y a Duerme Negrito d'Atahualpa Yupanqui, une berçeuse, c'est la première partie de notre carrière. Elle a eu un grand succès.

A un moment on a été numéro un, deux et trois, avec la Bamba, Pepito, et une chanson en Français qui s'appelait "Non Monsieur". C'était chanté par Julia aussi, parce qu'évidemment c'est une chanson qui a été écrite pour elle, par Franck Gerald qui a aussi écrit les paroles de "Mamy blue" et "Sur le pont de Paris".

Et la musique ?
La musique, c'était fait par un musicien de l'orchestre de Ray Ventura, qu'on appelait les Collegiens, il y avait tout le monde dedans, Henri Salvador, etc. Aussi, il a composé Il est mort le soleil qui a été chanté par Ray Charles. C'était un très grand Monsieur. Hubert Giraud, voilà.

C'était quand "Non Monsieur" ?
C'était en 1961 ou 62. On a été pendant neuf mois au Hit Parade. C'était exceptionnel. C'est une jolie chanson sous forme de sketch. On avait fait une mise en scène où on essayait de draguer Julia, et elle s'esquivait… " Non Monsieur, je ne vous connais pas… Non Monsieur, surtout n'insistez pas… Quand je dis oui, pour moi c'est oui… Quand je dis non, pour moi c'est non, non non non non…".

Une autre chanson qui a eu un succès fou aussi c'était "Cuando calienta el sol". Celle-ci on l'a chantée vraiment en rock, telle qu'elle, en slow rock. Elle a été composée par des mexicains : los Hermanos Rigual. Elle a eu du succès dans le monde entier. Il y avait des endroits où on connaissait moins Pepito et on connaissait Cuando calienta el sol. En Turquie par exemple.

La musique cubaine et les Machucambos

Quelle était l'influence des musiques cubaines sur les Machucambos ? Vous avez chanté beaucoup de cha cha cha…
Beaucoup de cha cha, oui, malheureusement ! Il y avait du bon et du mauvais. Mais pour nous le cha cha c'était simplement une forme rythmique, comme accompagnement, c'était une cloche, des timbales… et puis les guitares qui faisaient des petites mélodies en contretemps, de contre-chants, des choses comme ça. On n'a jamais eu une formation avec des trompettes. Pour jouer le cha cha ce sont très souvent des quintets. A Cuba il y a par exemple l'Orchestra Aragon qui fait du cha cha avec des violons rythmiques, trois violons, avec tumba bongo cloches et timbales, et puis on chante le plus souvent à l'unisson, avec les montunos qui viennent derrière. Ils ont chanté au festival de Varadero, c'était magnifique.

Nous, on a simplifié, on a fait des choses très simples au niveau instrumental.

Quand êtes-vous allés à Cuba ?
En 1981. On a participé au festival de Varadero. Il y avait Mercedes Soza, Jimmy Clift…

Vous avez eu un prix à Varadero ?
Le prix de la …(rire)… ils ont inventé un prix pour nous : le prix du divulgateur de la musique sud-américaine en Europe.

C'est sympathique. Pour revenir sur les musiques cubaines à Paris : elles étaient absentes dans les années 50, puis il va y avoir un changement dans les années 70 avec l'arrivée de la salsa. Comment vous vous êtes situés par rapport à ce changement ?
Il y avait dans les années 50 toujours des orchestres cubains dans les boîtes de nuit, à Pigalle surtout. Il y avait un couple de cubains qui chantaient aux Vieux Colombier. Ils s'appelaient Chiquita Serrano. Ils ont fait des disques chez Boîte à Musique, des bons disques de folklore, ils chantaient avec l'accent cubain, un peu du macumba…

Il y a eu pas mal d'orchestres, mais c'était toujours avec des chefs d'orchestre français. Il y avait des musiciens sud-américains, des Français ou alors des Africains. Il y avait les Chakachas, un groupe de Belges avec une chanteuse cubaine dedans. Ils jouaient beaucoup de cha cha. Ils ont lancé, en Europe en tout ca, " Eso es el amor ".

Nous, on a été quand même à côté de ça. D'abord on était un petit groupe, un trio.

La musique cubaine à l'Escale

A quel moment à Paris vous avez senti que le mot Salsa commençait à venir ?
C'était plus tard, après les années 70. Avant, je ne me souviens pas avoir entendu parler de la salsa. C'était avec les orchestres des Portoricains qui commençaient à venir, la Fania All Star, Mongo Santa Maria…

Mongo Santa Maria était avec nous au Canada. On l'a bien connu. Son groupe était formidable. Ils jouent comme des dieux.

Au moment où la salsa commençait à venir, que se passait-il à l'Escale ? Vous, les Machucambos, vous étiez toujours en tournée à l'international, mais il y avait des musiciens que vous avez accueillis à l'Escale et qui ont joué un rôle important. Vous pouvez nous en parler ?
Il y avait des types formidables à l'Escale. Il y avait par exemple Sergio Barreto.

Quel est son rapport avec Don Barreto ?
C'était son frère.

Ce n'est pas le vieux Monsieur qui est mort il y a deux ans ?
Oui. C'était un très bon percussionniste. Il est mort à l'âge de 92 ou 95 ans. Il a même joué avec nous. Ils nous a même accompagné en tournée des fois. Il faisait des solos de bongo. Il fait partie de ceux qui étaient à Paris dans les années 30.

Oui, il accompagnait son frère Don Barreto au Melody's Bar…
Il avait joué à Chicago dans des bars louches dans les années 30. Il connaissait Mae-West, une actrice américaine de l'époque. Il était incroyable.

A l'Escale, il y a eu des très bons musiciens. La plupart sont morts. Le Buena Vista Social Club, à l'Escale, c'était comme ça tous les soirs, il y a 30 ans, 40 ans.

Est-ce que la musique à l'Escale est devenue progressivement cubaine ?
Quand il y a eu la cave, oui. Avant, il n'y avait pas la cave.

Au départ, quand l'Escale a ouvert - Louise nous a raconté -, ils avaient ouvert la cave aussi, initialement, mais ça ne répondait pas aux normes de sécurité. Donc, ils ont été obligés de fermer la cave, et comme l'Escale c'était un hôtel…

L'Escale, un ancien bordel

C'était un hôtel ?
Oui. Au début, c'était un bordel, une maison close.

Un bordel !
C'était avant la loi de Marthe-Richard, avant 47/48 (4). Dans toute la rue Monsieur le Prince, c'était des bordels. D'ailleurs vous avez vu, quand vous montez la rue, ce sont toutes des maisons étroites comme ça, après il y a l'école de médecine, et après ça continue. Elles étaient toutes des bordels, de bas étages…

Et donc, quand il y a eu la loi Marthe-Richard, Louise Baudino, elle revenait de Panama avec son mari, et ils avaient un peu de fric. Ils ont acheté cet immeuble, et ils ont hérité de ce bar au rez-de-chaussée aussi, et d'une cave. Quand la cave a été fermée, ils y ont mis une énorme chaudière pour chauffer l'hôtel.

Et donc ils ont conservé le bar et l'hôtel. Ce n'était plus un bordel…
Ce n'était plus un bordel, bien sûr. On y a même habité un peu. Louise habitait ici, les serveurs aussi je crois. La loi a fermé les bordels. Même à Rome il y a eu une loi similaire après la guerre. D'ailleurs, le bas de l'Escale, c'est typiquement un bordel, c'était une salle où les gens étaient assis, puis il y avait les filles qui descendaient les escaliers.

Vous voyez, l'escalier que vous avez pris, c'était l'escalier qui arrivait directement dans le bar du rez-de-chaussée. Dans un espace comme ça, c'est tout petit…

Et tout se passait dans la cave…
Oui, probablement. Mais c'était des gens qui n'avaient pas de fric qui allaient dans ces bordels. C'était des bordels pas cher.

La musique cubaine à l'Escale (suite)

Revenons en aux musiciens de la cave, qui étaient là ?
Voici quelques noms :

Malmin
Bebo
Aldo Jova, il était pianiste
Pedro Urbina
Gonzales Fernandez, il était classé comme un des plus grands flûtistes du monde.
Patato Valdez, il venait faire des bœufs à l'Escale
Los Papines
Chocolate


Des gens comme Patato Valdez venaient faire le bœuf. C'était des soirées fantastiques. Ca se passait dans la cave avec des musiciens stables qui étaient là, puis d'autres musiciens arrivaient et s'ajoutaient pour un coup.

C'est dans cet univers de l'Escale qu'on a migré petit à petit vers la musique cubaine ?
Oui. Il y avait le folklore au bar et en bas il y avait la musique cubaine. En haut on écoutait et en bas on dansait.

Tandis qu'au départ, quand je suis arrivé en 56, il y avait juste le rez-de-chaussée, un petit bar. C'était bourré de monde. Il y avait toujours une queue de 50 à 100 mètres dehors. Ca faisait un bruit pas possible. A l'époque, en plus - ce n'était pas comme maintenant, les gens ne disaient rien. Il y avait beaucoup de joie dans la rue. Il y avait beaucoup de contact entre les gens. On se parlait. Après, petit à petit ça s'est perdu, et puis en 68 on a recommencé à se parler. Mais enfin, c'était quand même un autre monde. En plus, il y avait une sécurité totale. Moi, je ne me souviens jamais d'avoir fermé ma bagnole ici. Il n'y a jamais eu un vol quelconque, ça facilitait la vie, c'était différent.

Et la chaudière qui était dans la cave ?
C'était une énorme chaudière. Pour la sortir on a été obligé de la découper au chalumeau. On l'a sortie en morceaux et on a ouvert la cave.

En tant que Machucambos, vous avez chanté dans la cave ?
Non, pas en tant que groupe. C'etait rarissime, quelquefois parce que c'était l'anniversaire de l'un d'entre nous, mais sinon on chantait individuellement avec les autres musiciens.

Le groupe qui jouait dans la cave avait un nom ?
Non. Les musiciens jouaient avec leurs noms. Au départ, il y avait deux musiciens des Guaranis, il y avait Sanade Sanabria, qui est mort, et Servin. C'est un très grand guitariste. Il y a eu de la bonne musique ici.

Après on a été obligé d'abandonner, parce que pour un endroit si petit il y avait beaucoup de musiciens qui étaient pas mal payés, mais avec toutes les taxes qui sont arrivées un musicien coûtait le double, alors ce n'était plus possible. On ne voulait pas licencier des artistes qui étaient là depuis des années. Même avec la boîte pleine on perdait de l'argent. Il y avait un roulement continu de musiciens. C'est ça qui a fait le succès de l'Escale d'ailleurs, mais après voilà, on n'a pas pu continuer. On a perdu de l'argent mais on était content parce qu'il y a des musiciens qui ont travaillé ici pendant 25 ans ou 40 ans qui ont réussi à avoir une bonne retraite quand même.

Après c'est Azuquita qui arrive à Paris, à la Chapelle des Lombards, et il y a des musiciens de l'Escale qui vont l'accompagner. L'Escale va passer la main à travers ses musiciens à un autre lieu. La Chapelle des Lombards c'était plus grand et plus adapté à des concerts de salsa…
Oui ce sont surtout les musiciens de la cave qui sont allés à la Chapelle des Lombards.

A l'Escale, au rez-de-chaussée, il y avait toujours le folklore, avec la harpe etc, et dans la cave ca continuait. C'était assez sympa de passer la soirée ici.

Je garde le souvenir de cette ambiance, quand je suis arrivé à l'Escale la première fois en 1985. Il y avait encore un groupe qui jouait dans la cave, mais je crois qu'à ce moment il y avait moins de musiciens
Ah oui, 4 musiciens, pas plus. Là, il n'y avait plus la même ambiance, ce n'était plus pareil.

Notes :

  1. Saint François d'Assise, né à Assise (en Italie) en 1181, François est issu d'une famille riche. Un jour, durant une maladie, il lui vient une réponse à ce qu'il cherche : passer sa vie à aimer toute la création. Il transforme alors sa vie, il se fait pauvre, se soucie d'annoncer les messages de joie, d'espoir et d'amour contenus dans la Bible, et de porter la paix aux gens et à toute la Création. Il s'habille d'un vêtement gris et se ceint la taille d'un cordon. Il porte ainsi le vêtement du pauvre de son époque. Toute sa vie, il fait la promotion de la solidarité aux pauvres, aux démunis, aux marginalisés. Il dénonce les injustices et s'oppose à toute appropriation.
    Au terme de sa vie, il rédige ce qu'on appelle le "Cantique du frère Soleil" qui est l'aboutissement de ses enseignements sur le respect et l'amour que tous les humains doivent porter envers toutes les créatures de Dieu. Après sa mort, l'église le reconnaît comme "saint".
    Source : http://www.franciscain.org/pages/qui_est_saint-francois.html

  2. De 1971 à 1972, Cristobal Soto a été membre du Grand Magic Circus dirigé par Jérôme Savary. Il participe comme musicien, acteur et acrobate à des spectacles: Zartan, le frère mal-aimé de Tarzan - Robinson Crusoe, 100 ans de solitude.

  3. La nouvelle est d''Edmondo De Amicis et s'intitule " Cuore ".

  4. Marthe-Richard, loi adoptée le 9 avril 1946 par le Parlement français, qui supprime les maisons closes.

Propos recueillis par Nazem Ghemraoui. Lundi 30 janvier 2006.

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